La rencontre

La première fois, c’était le soleil. La deuxième fois, le froid de la nuit, cette fois, c’était la faim. A chaque réveil son petit plaisir malsain. Il le savait, on l’avait maintes fois prévenu au village. La forêt ne pardonne pas. Il le savait, mais il y tenait tant et désormais, il y était. Son excitation était toujours la même, malgré le froid, malgré la faim, malgré la peur, et désormais malgré cette cheville boiteuse. Il s’était couché abattu et en piteux état, mais il était fermement décider à rentrer… pour y revenir un jour.

Selon lui, la forêt ne lui avait pas encor tout dit, son irrésistible attirance pour elle ne pouvait se résumer à une gourde volée ou une longue marche brulante et douloureuse. Il y avait forcément plus. Sinon de quoi rêvait-il alors ?

Plongé dans ses pensées, il refaisait son sac tout en scrutant autour de lui. Cette chapardeuse d’harpie n’était pas réapparue, mais la panthère non plus. Tant mieux. Ou presque, car c’est en tirant sur une feuille pour lui boire la rosée qui s’y était déposé qu’il aperçut un énorme jaguar aux pattes massives et musclées un peu plus loin. Sa mâchoire semblait disproportionnée tant ses épaules étaient fines et taillées. Sans se faire repérer, le villageois prit la poudre d’escampette en direction opposée, pour finalement stopper net. Il y a moins d’une heure, Reithyr dormait profondément, et maintenant il se retrouvait à fuir un jaguar et tout cela en direction de la fameuse panthère noire qui évidemment, ironie du sort, venait de faire son apparition. Mais cette dernière continuait de lui tourner le dos, le fixant de temps à autre tournant son crâne en sa direction, mais rien de bien agressif. Presque pétrifié, notre héros ne savait pas bien où aller, deux directions, deux bêtes mortelles. Finalement la décision fut facilement prise, le jaguar grogna si fort que le villageois se dirigea machinalement dans la direction opposée. La panthère n’en sembla pas offusquée, et semblait presque attendre le choix du héros pour continuer sa route. Quant à l’énorme jaguar, nul ne le sait, notre pacifique héros préférant ne pas se retourner sur son chemin.

Reithyr remarqua que la panthère arpentait toujours les meilleurs sentiers, des chemins de terre fermes et relativement éloignés de toutes ces araignées et reptiles qui longeaient les arbres et autres supports naturels de la forêt. C’était donc le bon plan de suivre cet animal. Mais pas de trop près non plus. D’ailleurs à marcher derrière elle depuis deux jours, à distance respectable, semblait avoir habitués et la panthère et l’humain, de leur présence respectives. L’homme ne semblait plus si craindre que cela l’animal, ce qui était sûrement une erreur, et la panthère quant à elle n’avait jamais donné signe de crainte ou d’agressivité depuis le jour de leur première rencontre.

Il marcha ainsi durant près d’une heure, à travers les fourrages et sous la canopée incroyablement généreuse. Cela lui laissait le temps d’admirer les envolés de colibris, et quelques mammifères dont il ignorait même l’existence. Il se demanda s’il ne devrait pas commencer à chasser, et surtout boire, boire !

C’est en traversant d’immenses fougères, qu’il vit un arbre titanesque, dont les racines externes le dépassaient d’au moins un mètre. Et c’est en s’arrêtant pour l’observer qu’il l’entendit… Ca ne pouvait pas être autre chose non. Il y en avait une à la sortie de son village, il en connaissait donc le son par cœur. Une cascade se nichait quelque part à quelques lieux de là.

Reithyr n’avait pas eu de chance jusqu’ici, mais elle lui souriait enfin. Il remarqua qu’il était entouré de conifères alors que plus au nord, mangrove et savane semblait s’y dessiner… Il prit alors cette direction et comme il s’en doutait, la panthère fit de même.

Son intuition fut rapidement récompensée, à mesure qu’il avançait, il l’entendait un peu plus. Elle n’avait pas l’air d’être immense cette cascade, mais d’entendre autant d’eau le désaltérait presque déjà. Il n’y prêtait plus attention mais la panthère était déjà au point d’eau, et quand Reithyr y arriva, il la vit tremper délicatement sa patte avant dans le précieux liquide et l’eau sembla, comment le décrire, se purifier. Cela ne dura qu’un bref instant, était-ce un effet de lumière, un nuage qui passait par là, non, il en était sûr, cette panthère venait de faire quelque chose d’anormal.

Tout en s’approchant de l’eau, il ne cessait de fixer l’animal, comme pour l’interroger. Et le quadrupède de faire pareil, le fixant à son tour, avec cette curiosité animale qui vous interdit de rester serein, ignorant tout des réelles intentions de cet assassin à quatre pattes.

De ce petit jeu, personne ne semblait vouloir perdre, sauf qu’il fallait bien boire. Alors notre héros cessa de soutenir le regard de la panthère et se baissa pour boire. La panthère s’avança, doucement. Reithyr s’en rendit compte et se releva instinctivement, la panthère se stoppa net. Quand il feinta de se baisser, la panthère leva une patte puis la rabaissa immédiatement. Ce petit manège dura deux ou trois fois. A ce jeu, la panthère avait gagné quelques mètres et elle ne se tenait plus qu’à une petite dizaine de pas. Jamais elle ne s’était tenue aussi près de lui.

Ils continuaient de se fixer quand soudain ce jeu commença à ne plus beaucoup l’amuser. Il avait bien conscience que si la bête lui sautait dessus, il n’aurait qu’une seule chance de s’en sortir, pas deux. Il faudrait viser juste, et que le coup soit immédiatement mortel. Mais pourquoi s’approchait-elle maintenant alors qu’elle avait eu maintes fois l’occasion de me dévorer se demandait-il. Et c’est en observant les pates de la panthère, guettant le moindre mouvement,  qu’il vit arriver silencieusement un gigantesque serpent, une sorte d’anaconda moins long mais nettement plus gros. Et l’aubaine, ce dernier semblait avoir fait de la panthère son prochain repas sur sa liste. Mais immédiatement, l’idée lui déplut. Ce serpent allait probablement lui sauver la vie, mais il n’en était pas certain. Il fallait prendre une décision, vite, et maintenant. Il glissa sa main dans son dos, au niveau de la ceinture, et en sortit son unique couteau.

Sa décision n’était pas encor prise, le serpent n’y avait pas prêté attention, trop concentré sur sa cible, ne déviant pas de sa ligne droite. La Panthère elle, n’ayant toujours pas remarqué le serpent, vit cependant bien le couteau sortir de nulle part et cet homme qui le tenait fermement. Instinctivement elle mit ses pattes en flexion, la tête vers le bas et commença à grogner. L’hostilité était clairement affichée, et notre héros s’aperçut que c’était la première fois qu’il la voyait montrer les crocs, mais la situation l’y obligeait assurément.

Il fallait donc prendre une décision, maintenant, rapidement, le serpent lui n’allait pas attendre. Le dilemme était simple, limpide, de ces dilemmes qui sont les plus difficiles : Tuer le serpent, au risque de se faire dévorer par une panthère noire, ou laisser le serpent se battre avec la panthère, et tenter fuir.

Une, peut-être deux secondes de silence, coupées par le grognement de l’animal, puis il prit fermement son couteau par la lame et le lança en direction du serpent et de la panthère.

---------------------------


  • Réponse A : l’animal bondit sur Reithyr

Prêt à bondir, l’animal se déploya de tout son long avant même que Reithyr ne finisse son geste. Le couteau ne quitta la main de Reithyr que la panthère était déjà en l’air à mi-chemin, et c’est par un réflexe extraordinaire qu’il put se pencher en arrière tout en s’écartant sur le côté pour qu’il évite les griffes acérés de l’imposante créature. Le couteau, lui aussi, avait manqué sa cible, le serpent en l’occurence, mais au moins ce dernier avait déguerpi avec tout ce raffut.

Alors qu’il cherchait du regard où pouvait être désormais son précieux couteau, priant de toutes ses forces pour qu’il ne soit pas tombé dans l’eau, la panthère se tenait désormais derrière lui. Virevoltant pour lui faire face, Reithyr s’attendait à se retrouver nez à nez avec une panthère féroce et furieuse. Mais il n’en fut rien. Au contraire, le calme était revenu et la si gracieuse panthère regardait fixement le couteau, complètement désintéressée de l’homme. Puis elle tourna la tête et regarda longuement l’humain, qui n’osait plus bougé. Le statuquo lui allait très bien pour le moment.

Il se dit qu’il perdait la tête, mais entrepris de parler avec son désormais vieux compagnon de route, comme s’il fallait désormais détendre l’atmosphère :

« ce n’est pas la peine de m’attaquer ma belle, cette lame n’était pas pour toi »

Sur ces mots, la panthère repris son éternelle et gracieuse démarche pour rejoindre le point d’eau, passant tout proche de notre héros, et arrivée à proximité du couteau, elle fit un demi-tour pour fixer l’humain. Sa nonchalance était captivante à observer mais avait ce je ne sais quoi d’inquiétant. Jurant qu’elle comprenait ce qu’il disait, cette bête commençant définitivement à le fasciner, il lui lança alors dans un excès de confiance:

« Tu comprends ce que je dis hein c’est ça ? Ce couteau n’était pas pour toi, mais pour un serpent ! »

Sur cette nouvelle affirmation….

  • Réponse B : l’animal fait confiance ou ne réagit pas.

La lame fusa droit devant elle, on l’aurait dit aussi rapide qu’un carreau d’arbalète. Son geste vif et assuré pris par surprise la panthère et ne pû que constater dans un grognement qu’il siffla à son oreille droite pour terminer sa course dans le sol. Puis un autre sifflement se fit entendre, plus nerveux cette fois, plus animal. Le couteau avait manqué sa cible mais le serpent  n’avait guère gouté à l’intrusion de cet objet sur son chemin et fit immédiatement demi-tour puis disparu dans l’eau.

Au second sifflement, celui du tentateur, la belle panthère s’était retournée pour regarder le long serpent s’évader par le point d’eau, puis tourna cette fois ci simplement la tête pour fixer une nouvelle fois l’humain. Un simple grognement en guise de remerciement, c’est ainsi qu’il le prit en tout cas puisqu’il lui lança :

« Et oui ma belle, je viens de te sauver la vie d’un vilain serpent »

Sur cette affirmation…

 ------------------------


…. L’animal se retourna à nouveau et s’enfonça doucement dans l’eau, ses pattes immergées en devenaient troubles et même gazeuses et il jurera sur le moment qu’elles devenaient des pieds, puis des jambes. Le soleil couchant, on commençait à moins bien distinguer les formes et silouhettes dans la brume créée par la cascade. Il s’approcha de l’eau, pour mieux distinguer la panthère et son étrange rituel. Mais quand il vit la magnifique panthère commencer à se redresser et laisser apparaitre une peau humaine en lieu et place de la couleur caractéristique et tacheté des panthères noires… il crut devenir fou. Tout devenait flou tout en y voyant clairement. Les détails lui échappaient alors qu’il distinguait chaque partie de ce corps qui apparaissait à lui. Il lui semblait faire nuit et jour, froid ou chaud, il y voyait une panthère et une femme. Non, il voyait désormais bien une femme.

Magnétique, lumineuse, sculptural, radieuse… en un mot, sublime. La panthère, ou plutôt elle, avait avancé suffisamment pour que l’eau lui recouvre la taille, et il pouvait alors deviner la longueur de sa  chevelure noire qui baignait dans le petit lac. Se tenant légèrement de côté, il pouvait suivre les courbes de son corps parfait, mais alors que ses yeux s’attardaient sur le galbe de son sein, il fut soudainement perturbé par ce qu’il attendait encor moins :

« De quel serpent parles-tu ? De celui-ci ? »

Sa voix résonnait, et semblait être passée à travers mille filtres de charme tant ses quelques mots sonnèrent comme une douce mélodie aux oreilles du héros. Son timbre de voix trahissait une certaine espièglerie, et sa question mêlée à son sourire taquin sur ses magnifiques lèvres mutines allaient forcément lui donner raison. Et en effet, le serpent en question réapparu, glissant et ondulant sur l’eau. Il semblait beaucoup plus à son aise que tout à l’heure sur terre ferme.

Le reptile approcha lentement donc de cette femme mystique vêtue de son plus simple appareil, puis commença à s’enrouler autour de la jambe gauche puis de la droite… il zigzaguait, flottait contre les jambes de cette femme sans âge, et sans nom. Puis cette dernière mi une main dans l’eau, et le serpent remonta immédiatement à sa hauteur pour s’enrouler aussi autour de son bras. Puis elle le laissa gagner du terrain sur l’ensemble de son corps, et ce que vit Reithyr était probablement la plus belle chose qu’il n’avait encor jamais espéré voir dans sa vie.

Cette magnifique panthère devenue cette sublime femme était désormais vêtue d’un grand serpent, qui s’entortillait autour d’une jambe, remontant autour de ses fesses et de son bas ventre jusqu’à remonter sur l’un de ses seins. Son second sein étant toujours découvert, avec la tête du reptile glissant et le cachant de temps à autre au gré de ses variations d’ondulation.

Et dans un ultime sourire… « et tu crois toujours m’avoir sauvé ? »

"Natacha, tu es magnifique"

Thierry MARTIN - 29 juillet 2017