L’aventure

Il n’avait marché qu’à peine une heure la nuit passée, qu’il avait établi un petit camp de base afin de dormir au coin d’un feu crépitant. Le cadre s’y prêtait, un large espace vert clairsemé mais malgré tout à l’abri du vent, et au matin le soleil se levait parfaitement sur le visage encor endormi de notre héros.

Il se leva donc après une première nuit dans la forêt. Cette même forêt qui  lui faisait si peur, et pourtant il venait d’y passer une nuit tranquille. Cette même forêt dont il rêvait depuis toujours et qu’il n’osa jamais pénétrer. Cette même forêt, ou presque. La veille, à la tombée de la nuit, le bruit était omniprésent, il s’en souvient bien. Le chant d’oiseaux mêlé aux craquements de branches avait même fini par bercer notre aventurier. Mais ce matin, seules les feuilles balayées par le vent semblaient troubler la tranquillité inquiétante de la forêt. De plus, il lui était désormais impossible de reconnaitre l’endroit même qu’il avait atteint pour dormir. L’espace clairsemé était devenu qu’un pauvre marécage peu accueillant, les grandes cimes qu’il pensait distingué par devant la lune la nuit dernière n’étaient que de sombres arbres desséchés. Quant à l’immense tronc d’arbre sur lequel il s’était appuyé pour dormir n’était qu’une souche à moitié arrachée d’où grouillait nombre d’insectes.

Soudain il réactualisa la vision de sa nuit et s’estima finalement plus heureux d’être vivant que d’être reposé. A ce propos, il n’était plus question de trainer dans ce coin, ce n’était pas là ce qu’il s’était imaginé durant toutes ces années de sa si précieuse forêt.

Il prit alors par l’est, se fiant au soleil pour retrouver le moment venu sa route pour le retour. De plus la plus faible densité d’arbre qu’il percevait à l’horizon tendait à le rassurer. Le terme Horizon n’était d’ailleurs qu’un vaste concept, l’immensité et la structure des feuillages ainsi que le nombre d’arbre empêchait d’y voir clairement à plus de dix mètres. Cela laissait alors libre court à l’imagination de chacun, et en particulier de notre héros, qui ne pouvait alors s’empêcher de faire preuve de trop d’anticipation et de prévoyance du danger. Ainsi une liane apparaissait au premier regard pour un serpent, une branche morte qui casse sous un pied pour un animal fuyant, et les silhouettes que dessinent les rayons du soleil pour des formes vivantes. Il vit rapidement de vrais animaux, sortes de singes, sans en être vraiment. Et de trop nombreux serpents, pour certains de pauvres lianes, pour d’autres de véritables tueurs à sonnette.

Reithyr, notre héros, n’était pas serein, la densité des arbres redevenait passablement gênante, l’obligeant parfois à ne pas pouvoir choisir son chemin, empruntant le premier passage possible à coup d’épée dans les branches récalcitrantes. Parfois, il passait à seulement quelques centimètres de ces reptiles. Mais ce n’était plus ces nouveaux compagnons qui l’inquiétait, mais cette panthère noire qui le précédait. Il en avait croisé une autre un peu plus tôt, une somptueuse panthère tachetée, il avait même dû la faire fuir en faisant de grandes gestes menaçant et hurlant à la mort. Jusqu’ici il n’avait dû tuer aucune de ces bêtes, et il espérait bien éviter l’affrontement le plus longtemps possible. Mais cette panthère noire, elle, ne l’avait encor pas menacé. Elle se contentait de le précéder, changeant son itinéraire au gré des changements de celui du villageois. Parfois, elle aussi se confondait avec les ombres et les différentes silhouettes que propose le soleil, parfois il crut même l’atteindre pour découvrir une vieille souche ou un buisson…

Reithyr venait seulement de s’en rendre compte, mais la difficile marche à travers cette forêt épaisse, cette jungle, et le soleil aidant, il perdait beaucoup de force et beaucoup d’eau. C’est ainsi qu’à la moitié de l’après-midi seulement, bien enfoncé dans cette verdure épaisse, il prit la direction de ce qu’il prenait au début pour un immense regroupant d’arbre, mais qui n’était qu’un immense rocher dominant la forêt. S’il avait été meilleur en escalade, il aurait peut-être entrepris de le monter, mais il lui fallait désormais économiser ses forces et envisager un retour. Ses vivres lui permettant de tenir au mieux trois nuits.


Adossé à un immense arbre, il faisait face à ce rocher, parfait comme coupe-vent. Il observait une magnifique Harpie nichée dans un creux de la roche. Il l’observait, mais lui aussi était observé. L’aigle aux immenses ailes ne le quittait du regard. A chacun sa curiosité se disait-il. Etrange qu’un tel aigle ne soit pas perché sur son arbre, étrange qu’un humain ne soit pas niché dans sa hutte.

Soudain, le froid envahissait le valeureux aventurier, soudain, le noir donna place au noir… il s’était endormi, « bon sang mais comment ais-je pu m’endormir ? » grogna-t-il, philosophant sur l’existence des animaux de cette forêt, notre héros s’était endormi. C’est le froid qui réveilla notre poète en herbe, l’herbe douillette avait laissé place à de l’herbe gelée, la clarté du jour disparu, impossible d’y voir. En moins de temps qu’il faut pour le dire, il prit de son large sac ouvert une couverture et s’enveloppa dedans. Il y extirpa aussi quelques bois secs et alluma un feu pour se cuire son repas.

Au-delà de sa fonction de cuisson et de chaleur, le feu a ce quelque chose de rassurant la nuit, de la lumière. Il s’improvisa une torche éphémère et décida d’aller guetter aux alentours. Les crépitements de la torche lui permirent de remarquer la présence de l’aigle, mais aucune trace de la panthère noire, ni d’autres animaux menaçants. Finalement la présence visible de l’aigle lui était peut-être bénéfique. Il se retourna alors pour tenter de mieux la voir mais rien, malgré les différentes inclinaisons de son bras, il n’arrivait plus à le distinguer. L’aigle s’était-il finalement envolé ? Malheureusement non.

D’où il se tenait, Reithyr pouvait distinguer son foyer, et les ombres particulières des flammes. Seulement les ombres étaient plus épaisses, plus larges, et il ne fallut pas longtemps pour que notre héros étourdi comprenne que l’aigle en était surement la cause. Il couru alors le plus vite possible, évitant les pièges qu’un tel relief peut vous poser à chaque pas que vous faites, sautant par-dessus les branches tombées, évitant les sols boueux et s’accrochant à tout ce qu’il le tient debout. Mais sa torche s’éteignit au pire moment, et il chuta lourdement à quelques mètres de son petit campement. Il n’eut que le temps de relever la tête pour voir l’aigle enfourner sa viande encor crue et s’envoler. Mais comme si le sort ne suffisait pas, les pattes du satané volatile se prirent dans la sangle de sa gourde et ni une ni deux c’est tout le repas du soir qui s’envola.

Revenu à son camp en boitillant, le pauvre héros était abattu par autant de malchance. Il espérait au moins que la panthère serait un peu plus impressionné par le feu que ne le semble l’être les aigles. Affamé, il décida de finir le pain qu’il lui restait, ses derniers vivres. Et préféra s’endormir rapidement pour ne ressentir ni la peur, ni la faim.

"Natacha, tu es magnifique"

Thierry MARTIN - 29 juillet 2017